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Yoga La Source

Raja Yoga et le Mental

par Fredric Bender

Imaginez que la façon dont vous voyez votre corps, votre mental et votre être change d'une manière profonde et fondamentale et, par conséquent, change également la façon dont vous voyez les autres et le monde. Imaginez aussi que ce changement produise en vous une vitalité, une clarté et une joie immense comme si un voile s'était levé et que vous vous sentiez maintenant vraiment vivant pour la première fois.

Le but du yoga est la réalisation du Soi - l'illumination de la vraie nature de soi-même. Grâce à la méditation, les anciens yogis sont entrés dans des états de conscience sublimes se mettant à l'écoute des vérités sur la vie et le monde qui les ont amenés à un sentiment plus profond d'être vivant (sat), d'une acuité mentale vive (chit) et d'un sentiment de félicité divine (ananda).

Il y a des milliers d'années, le grand sage Patanjali s'est appuyé sur la vaste connaissance du yoga trouvée dans les écritures védiques et il l'a assemblé en un système pratique maintenant connu sous le nom de Raja Yoga (le «Yoga royal»). Dans ses Yoga Sutras, Patanjali a tissé 195 fils de vérités yogiques qui révèlent les fonctionnements du mental et comment les transcender pour atteindre la réalisation du Soi.

Patanjali statue

Dans son deuxième sutra, il explique le yoga comme:

Yogaschittavritti Nirodhaha

L'état de Yoga survient lorsque l'activité (vritti) du mental (chitta) cesse (nirodhaha).

Alors que d'autres voies du yoga considèrent la réalisation du Soi accessible par le service désintéressé (Karma Yoga), la pratique de la dévotion (Bhakti Yoga) et le recherche du Soi (Jnana Yoga), le Raja Yoga se concentre sur la réduction et finalement l'arrêt de l'activité du mental pour permettre à la lumière de son vrai Soi de briller comme le soleil dans tout son éclat.

Patanjali précise que lorsque l'activité mentale cesse, on demeure dans le Soi, mais lorsque l'activité mentale est présente, elle obscurcit le Soi et on s'identifie à tort à l'activité à la place. Utilisant l’analogie avec un lac, lorsqu'un lac est immobile, ses eaux sont claires, ce qui permet de voir jusqu'à ses profondeurs. Lorsque le lac est turbulent, ses eaux sont boueuses et l'on ne voit que l’agitation de la surface.

Alors comment calmer le lac d'un mental turbulent et que trouve-t-on dans ses profondeurs? Quel est ce Soi? Tout d'abord, il est important de comprendre que le yoga est construit sur le fondement de la philosophie Samkhya, l'une des plus anciennes écoles de pensée indiennes basée sur les anciennes écritures védiques.

Samkhya propose que la conscience (Purusha) n'est pas un "objet" mais ce qui éclaire les objets. Elle est intemporelle et illimitée et existe indépendamment de la matière primordiale (Prakriti). Certes, on peut être sceptique face à une telle affirmation, mais c'est l'une des deux réalisations expérimentées dans l'illumination. L'autre est que nous sommes cette conscience.

Avant l’illumination, nous sommes susceptibles d'adopter une vision matérialiste selon laquelle la conscience est produite dans le cerveau et donc limitée et temporelle, mais certains neuroscientifiques à la pointe de la recherche sur la conscience admettent que le cerveau n'est pas une cause suffisante pour la conscience.1

Samkhya poursuit en affirmant qu'avant la création, la matière primordiale Prakriti est dans un état non-manifesté où il y a un équilibre parfait de ses trois qualités (gunas) : luminosité (sattva), activité (rajas) et inertie (tamas). Grâce à un déséquilibre de ces qualités favorisant le rajas, Prakriti évolue de sa manifestation la plus subtile à la plus grossière - le monde physique. Bien qu'il puisse sembler étrange que ces qualités particulières constituent le substratum de l'univers connu, on peut peut-être établir un lien avec le Big Bang et l'apparition de trois particules subatomiques.

Le Samkhya et le Yoga affirment tous deux que si notre mental et notre corps sont des évolutions subtiles et grossières de Prakriti, le Soi est Purusha - la conscience illimitée - et le yoga fournit un chemin par lequel nous pouvons en prendre conscience. Malheureusement, sans une telle réalisation, nous nous identifions à tort avec le mental et le corps et expérimentons la souffrance du monde.

En tout, il y a 24 évolutions depuis l'état non-manifesté de Prakriti jusqu'à son expression la plus complète dans la manifestation, et ces étapes d'évolution sont appelées tattvas. Prakriti évolue d'un niveau universel jusqu’au niveau individuel. Le mental fait partie du corps subtil et est considéré comme l'Antahkarana ou «instrument intérieur». L'Antahkarana est composé de quatre tattvas qui interagissent les uns avec les autres:

  • l'Ahamkara - Ego / le Moi
  • le Buddhi - faculté de discernement
  • le Manas - processeur sensoriel
  • la Chitta - entrepôt de la mémoire

La majeure partie de la journée, notre mental est projeté vers l'extérieur pour se relier à notre monde extérieur. Nos sens présentent des objets des sens au manas qui trouve des associations au sein de la mémoire Chitta. Cela éveille les vrittis ou l'activité mentale. Le buddhi discerne alors au milieu de cette activité ce qu'il faut conseiller à l'ahamkara (Ego) comme la réponse la plus sage à toute situation. Cependant, l'ahamkara peut passer outre le buddhi et réagir simplement en fonction de ses goûts ou de ses aversions. À travers toute cette activité mentale, le Soi en tant que Purusha (conscience) est obscurci et on se retrouve à être un instrument mental et une chair mortelle.

À travers le Raja Yoga, Patanjali propose de multiples chemins à travers lesquels un yogi peut se réaliser en tant que Purusha en fonction de son niveau de développement. Il commence par (1) des yogis adeptes dont le mental peut déjà se retirer du monde et entrer dans un état profond d'absorption méditative appelé samadhi, (2) le Kriya Yoga pour ceux qui ne sont pas encore tout à fait prêts à entrer en samadhi, et (3) Ashtanga Yoga pour ceux qui ont besoin d'un programme complet pour maîtriser l'activité d'un mental indiscipliné (c'est-à-dire un mental qui n'est pas encore un disciple du Soi).

Indiscipliné, le mental a tendance à être dispersée, passant d'un stimulus sensoriel à l'autre, d'une association à l'autre, d'une pensée à l'autre. Lorsque le mental se concentre, il devient plus stable et plus puissant. Pour la concentration (dharana), l'observateur fait des efforts pour maintenir la concentration mentale sur ce qui est observé. Lorsque la concentration mentale vient sans effort, l'observateur entre en méditation (dhyana). Lorsque la méditation s'intensifie au point où l'observateur et ce qui est observé se dissolvent dans l'énergie de l'observation, cela s'appelle samadhi.

Beaucoup considèrent le samadhi comme le summum du yoga, mais le samadhi est en fait le point de départ du yogi. Dans ses Yoga Sutras, Patanjali enseigne aux yogis adeptes à appliquer le samadhi sur les tattvas de Prakriti, allant des tattvas grossiers aux plus subtils. Au départ, on pratique le samadhi sur les mahabhutas ou éléments grossiers qui constituent le monde physique : la terre, l'eau, le feu, l'air et l'éther. C'est ce qui est appelé le vitarka samadhi et il est de deux sortes: savitarka et nirvitarka. Le premier est l'absorption avec le support des mots, de la connaissance et de l'objet d'observation lui-même. Le deuxième est l’absorption sans support, simplement l’absorption dans l'objet de l'observation lui-même.

Finalement, la faculté de discernement de buddhi se rend compte que le Soi n'est pas composé des mahabhutas, transcende ce niveau et passe à méditer avec absorption sur des tattvas plus subtils, comme les tanmatras ou les cinq sens, dans vichara samadhi (à la fois savichara et nirvichara) jusqu'à ce que le buddhi discerne de la même manière la différence entre le Soi et les cinq sens.

La capacité d'approfondir la concentration sur des tattvas de plus en plus subtils apporte une acuité mentale et des phénomènes psychiques. Utiliser ces pouvoirs mentaux à des fins mondaines ramène à la nature temporelle des plaisirs mondains et à l'identification avec le corps et le mental. Au contraire, on continue plus profondément, en appliquant l'état d'absorption à la chitta, au manas et à la buddhi du mental avec la pratique de sananda samadhi, et en les transcendant, on pratique l'absorption sur l'Ego ou le sens du Moi - sasmita samadhi.

Ce n'est que lorsque l'on se désidentifie et transcende le Moi - l'aspect le plus subtil du mental - que l'on entre dans l'asamprajnata samadhi ou l'absorption avec Purusha. Ici, on devient illuminé et on expérimente un état de libération appelé kaivalya.

Si l'aspirant spirituel n'est pas aussi habile que le yogi expérimenté dans la pratique du samadhi, Patanjali conseille la discipline du Kriya Yoga pour entraîner le mental au samadhi. Le Kriya Yoga implique trois pratiques : les tapas (austérité pour surmonter les goûts et les aversions de l'ego et la culture du vairagya, le non-attachement au monde), Svadhyaya (étude du «Sva» - Soi) et Ishvarapranidhana (dévotion).

Ceux qui sont déjà familiers avec l'Ashtanga Yoga classique peuvent reconnaître ces pratiques parmi les cinq dernières observances personnelles appelées niyamas. Pour ceux qui ne connaissent pas l'Ashtanga Yoga classique, Patanjali propose 8 (Ashta) membres (angas) de pratiques pour les non-initiés:

(1) Yamas – Comme l'objectif est de cesser l'activité mentale, le premier élément constitutif est d'établir une relation harmonieuse avec le monde, ce qui nécessite les restrictions suivantes sur les impulsions primitives:

  • Ahimsa - la non-violence en pensée, en parole et en acte
  • Satya – véracité
  • Asteya – ne pas voler
  • Brahmacharya – littéralement, le "chemin de Brahman" (le Soi) et généralement associé à la modération de l'impulsion sexuelle
  • Aparigraha – non-convoitise

Certains voient les yamas comme des contraintes. D'autres voient les yamas comme une référence de progrès spirituel. Par exemple, avec Brahmacharya, la modération de l'impulsion sexuelle apparaît naturellement quand on commence à voir Brahman (le Soi) en tout.

(2) Niyamas – observances personnelles – le deuxième élément constitutif

  • Saucha – purété
  • Santosha – contentement
  • Tapas – austérité
  • Svadhyaya – étude du Soi (Sva)
  • Ishwarapranidana – abandon au divin

(3) AsanaAsana signifie littéralement «siège». Le sutra à ce sujet est sthiram-sukham-asanam, les deux premiers mots signifiant être stable et confortable. Alors que beaucoup considèrent cela comme faisant référence à une posture assise stable et confortable (en particulier parmi les hatha yogis qui appliquent le concept à une grande variété de positions du corps), il est plus compris comme étant stable et confortable dans son positionnement ou siège mental.

(4) Pranayama – contrôle de l'énergie vitale (prana) par la respiration

(5) Pratyahara – retrait des 5 sens de l'attachement mondain

(6) Dharana – concentration

(7) Dhyana – méditation

(8) Samadhi - absorption

L'Ashtanga Yoga classique fournit un système complet pour discipliner le mental et le rendre puissant, stable et serein en préparation du samadhi sur les tattvas jusqu'à ce que l'on atteigne la réalisation du Soi.

Quel est le lien entre le Hatha Yoga et le Raja Yoga?

Le Raja et le Hatha Yoga sont deux systèmes de yoga indépendants et autonomes d'origine védique. Les deux visent à transcender le mental pour atteindre la réalisation de soi. Alors que Raja travaille directement avec le mental, Hatha y travaille indirectement à travers le système énergétique (pranamaya kosha) du corps et de la respiration. Dans le Hatha Yoga Pradipika de Swatmarama, il écrit que le Hatha Yoga est «une échelle pour ceux qui souhaitent atteindre le noble Raja Yoga».

Les gourous ayant une orientation particulière trouvent souvent du mérite à enseigner un yoga de synthèse intégrant de nombreux yogas de principe différents. On peut souvent trouver le Hatha Yoga mis au service de l'amélioration du Raja Yoga en : (1) apportant force et flexibilité au corps comme préparation à s'asseoir pendant de longues périodes et (2) débarrassant le mental de l'excès de rajas (activité) le rendant plus serein et sattvique (lumineux). De cette façon, le corps et le mental sont prêts pour la pratique principale du Raja Yoga – la méditation.

Comprenant que l'intention du Raja Yoga est de cesser l'activité mentale, on peut utiliser la pratique du hatha yoga pour retirer les sens du monde extérieur en se concentrant intérieurement, puis se concentrer sur les sensations grossières et subtiles du corps et de la respiration dans chaque posture afin de développer la concentration, la méditation et l'absorption. L'élève avancé peut approfondir sa concentration au-delà des sensations subtiles du corps dans une posture en méditant sur le yantra (forme géométrique) et/ou le bija mantra élémentaire associé au chakra lié à cette posture.

Pour améliorer et intensifier le pouvoir de concentration, l'environnement optimal pour la pratique doit être silencieux, épuré et vierge - une expression extérieure de ce que l'on souhaite cultiver intérieurement pour le mental.

Le vocabulaire d'un yogi

Sat-Chit-Ananda, Karma Yoga, Bhakti Yoga, Jnana Yoga, Raja Yoga, Kriya Yoga, Ashtanga Yoga, Hatha Yoga, sutra, chitta vritti nirodaha, Samkhya, Purusha, Prakriti, gunas, sattva, rajas, tamas, tattva, antahkarana, ahamkara, buddhi, manas, yama, ahimsa, satya, asteya, Brahmacharya, aparigraha, niyama, saucha, santosha, tapas, Svadhaya, Ishwarapranidana, asana, sthirum-sukham-asanam, prana, pranayama, pratyahara, dharana, dhyana, samadhi, mahabhutas, vitarka samadhi, vichara samadhi, sananda samadhi, sasmita samadhi, asamprajnata samadhi, kaivalya

Bibliographie

Swami Vivekananda: Commentaries on the Yoga Sutras

Notes from lectures by Ramaswami Subramanyam

Sarasvati Buhrman: “The Stages of Samadhi According to the Ashtanga Yoga Tradition

1 ”Why is Consciousness so Mysterious?” - YouTube

Merci à Ram Vakkalanka

La source des photos

Image de la bannière, Statut de Patanjali, méditation au lac, hatha yogi